Titre : Développeur de Ludia
Âge : 45 ans
Entrée dans l’industrie du jeu vidéo : 2015 (mais en informatique depuis plus de 20 ans)
Principales fonctions en carrière : Build master (Ludia), administrateur de site et programmeur (Modulmonde), analyste à la mise en production (Téléglobe)
« Placés dans des situations qu’ils pourraient rencontrer au travail, les autistes démontreront de la vision ou proposeront une solution à l’enjeu soulevé. »
Pour Michel Blanchet, la diversité en milieu de travail n’est surtout pas une affaire de quotas et de pourcentages. Elle devrait plutôt se mesurer par des initiatives d’intégration et d’adaptation, en particulier pour les personnes autistes.
Au quotidien, Michel Blanchet ne se contente pas d’être développeur pour le studio montréalais Ludia, un poste qu’il occupe depuis près de six ans. Tant auprès de son employeur que de l’industrie québécoise du jeu vidéo et même du monde du travail en général, il est aussi en mission pour faire évoluer l’acceptation de l’autisme. À ce sujet, notons que selon certaines études, à peine un autiste sur quatre occupe un emploi au Québec. Conjuguant lui-même avec le spectre de l’autisme, il plaide depuis fort longtemps pour que les milieux de travail soient ajustés de manière à optimiser la performance des employés autistes. Et cela commence dès le processus d’embauche, juge-t-il.
« En entrevue, l’on nous pose des questions généralistes ou abstraites du type « Où te vois-tu dans cinq ans? » ou « Quel est ton pire défaut et ta meilleure qualité? ». Or, pour un autiste, de telles questions sont trop vastes. Par conséquent, les candidats s’y perdent et ne s’y démarquent pas particulièrement. En revanche, si on les place dans des situations qu’ils pourraient rencontrer au travail, ils démontreront à coup sûr de la vision ou encore proposeront une solution à l’enjeu soulevé. »
De même, toujours à l’étape des embauches, des clichés du genre « Nous recherchons un joueur d’équipe » n’évoquent rien de bien concret pour les personnes autistes, rappelle celui qui œuvre dans les technologies depuis une vingtaine d’années. Toutefois, « Participer en équipe à la résolution des problèmes » s’avère une formulation nettement plus claire et compréhensible.
Qualités utiles dans le monde du jeu
Michel Blanchet parle en connaissance de cause, car il a connu un passage à vide après avoir perdu son poste d’analyste chez Téléglobe au moment où celui-ci a été imparti en Inde. « J’étais pleinement qualifié pour les emplois pour lesquels je postulais, rappelle-t-il. Pourtant, je ne franchissais pas l’étape des entrevues, car je n’avais eu aucune occasion de m’y mettre en valeur. »
Se mettre en valeur dans le cas d’un autiste, c’est, par exemple, démontrer ce souci du détail qui caractérise bien les gens avec un tel profil. « Les autistes excellent pour s’assurer que les fonctionnalités d’un jeu, d’un site ou d’une application ne comportent pas de bogues, explique-t-il. C’est qu’ils focalisent sur des aspects qui échappent très souvent à la majorité des gens. »
En 2009, Laurent Mottron, professeur au département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, a d’ailleurs réalisé une découverte majeure en la matière. Il a démontré que les autistes concentrent davantage leurs ressources cérébrales sur le traitement visuel et moins sur des tâches comme la planification. Conséquence directe : ils sont jusqu’à 40% plus rapides dans la résolution de problèmes.
Les quotas : une chimère
Cela dit, Michel Blanchet juge que ce serait une erreur que de recourir aux autistes uniquement à cette fin. Évitons la stigmatisation, lance-t-il d’ailleurs à ce propos. Il suggère plutôt aux employeurs la mise en place d’outils simples qui faciliteraient l’intégration au travail. « Par exemple, pourquoi ne pas mettre à la disposition des autistes dès leur arrivée dans une nouvelle organisation une personne-ressource autre que leur supérieur. Celle-ci pourrait répondre à leurs questions dans le contexte fortement stressant d’un nouvel emploi. Cela pourrait même être appliqué pour toute embauche, car il a été démontré que la prise en main immédiate d’un nouveau travailleur donne toujours des résultats positifs. »
Pour lui, de telles mesures sont nettement plus porteuses que les quotas et statistiques que brandissent souvent les entreprises afin de démontrer leur ouverture à la diversité. « Les chiffres, c’est une façon rapide et facile de se donner bonne image, tranche-t-il. En contrepartie, des initiatives d’adaptation, c’est moins mathématique et moins rentable politiquement, mais cela porte ses fruits. »
Premier pas vers des mesures tangibles
Pour convaincre les décideurs, Michel Blanchet leur propose depuis quelques années une activité de sensibilisation sous la forme d’une conférence. Autour de recherches, de données factuelles et de statistiques, il y déconstruit quelques mythes tout en suggérant des avenues pour faciliter l’embauche et la rétention de gens comme lui. Mais surtout, il évoque des mécanismes visant à rendre la vie au travail mieux adaptée à la réalité des gens présentant des troubles de l’attention.
« Éventuellement, j’aimerais jouer un rôle de consultant pour faciliter l’intégration d’autistes et d’autres groupes au travail, indique-t-il à ce sujet. Je note déjà une belle ouverture d’esprit dans les entreprises et dans le monde des affaires en général. Toutefois, cette volonté ne se traduit pas toujours en gestes concrets et en compréhension approfondie. Je crois qu’avec mon expérience et ma connaissance de ce domaine, je pourrais faire avancer les choses. »
L’observateur salue néanmoins Ludia et l’industrie québécoises du jeu vidéo, qu’il juge toutes deux en avance pour ce qui est de l’évolution des mentalités. « Cependant, se réjouit-il, j’ai noté ces dernières années des avancées dans la santé/sécurité au travail et même dans un secteur conservateur comme le milieu bancaire. C’est fort encourageant, mais il reste beaucoup à faire, et j’entends bien y participer. »
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